Télétravail et bullshit jobs
Au départ, le télétravail était une révolution.
Il allait libérer les salariés, fluidifier la circulation, redonner du temps de vie aux gens, diminuer les frais des entreprises, et faire baisser les loyers des grandes villes.
Il devait marquer le passage vers une utopie douce. On allait être libéré des trajets chronophages, des potins de Sandrine, des photos des gosses de Vanessa, des repas malaisants avec les collègues dans une salle commune qui puait les odeurs de gamelles réchauffées.
On allait pouvoir bosser en chaussons et en pyjama, accorder du temps à ce qui compte vraiment pour nous, et gérer les relations avec l’entreprise grâce à Teams et à Zoom.
Télétravail, ou l’art de glander dans le dos du patron
Mais très vite, la réalité a pris une tournure tristement humaine. On a transformé un outil de souplesse en repère à planqués.
Le week-end anticipé grâce au télétravail
Prends l’employée de bureau qui bosse “à distance” le jeudi et le vendredi. Elle quitte le bureau le mercredi avec un jovial « Bon week-end ! ». Tout le monde a compris son plan : se payer un week-end prolongé payé par la boite. Au programme : shopping le jeudi, apéro le vendredi, et validation rapide des mails à 17h55 pour maintenir la fiction.
Le collègue connecté mais injoignable
Un autre exemple : le collègue fantôme. Officiellement, il est connecté. Il a un cliqueur qui simule sa présence sur Teams. En vrai, il ne décroche jamais. La ligne sonne dans le vide, les mails restent sans réponse, et sa webcam reste mystérieusement « en panne ». Il est en télé-évasion deux jours par semaine.
Et si jamais il décroche, il t’explique calmement : « Ah non, je peux rien faire, j’ai pas mes dossiers, ils sont au bureau. » Traduction : tu me payes pour être là sans pouvoir rien faire. C’est de la téléprésence passive, une sorte de RTT déguisée où l’on valide le droit à rien foutre.
Le pacte de corruption
Le plus beau, c’est quand les collègues qui restent au bureau te disent surtout de ne pas déranger le collègue en télétravail. C’est une convention morale. Tout le monde s’est accordé pour ne pas briser le pacte de silence : je ne dis rien sur toi, tu ne dis rien sur moi.
Et puis il y a ce moment gênant. Tu es en congé, tu flânes légitimement dans un centre commercial, et là, tu croises ton collègue en télétravail. Il te regarde, tu le regardes. T’as compris. Il a compris que t’avais compris. Vous savez tous les deux. Tu souris poliment, mais l’échange dit tout : il est payé pour faire glander pendant ses heures de travail.
Comment repérer les emplois inutiles ?
Dans cette France où le travail s’est dématérialisé, certains en ont tiré une conclusion simple : si des gens peuvent « travailler » depuis leur canapé, c’est que leur job n’a ni sens, ni utilité. Et ce n’est pas faux.
Tu imagines un maçon en télétravail ? Il monte un mur via une appli.
Un chauffeur de bus ? Il conduit depuis chez lui avec une manette Xbox.
Un policier ? Il poursuit des voleurs sur Google Street View.
Un plombier ? Il t’explique comment changer ton robinet en visio.
Une greffière ? Elle te tape le procès verbal depuis sa piscine gonflable.
Les parasites en télétravail
La vérité saute aux yeux : les métiers réellement utiles, physiques, ancrés dans la réalité, ne sont pas “télétravaillables”. Et ceux qui le sont… bien souvent, on pourrait les délocaliser au Bangladesh pour 2 € de l’heure.
Répondre à des mails, remplir des tableaux Excel, compiler des rapports PowerPoint qu’aucun décideur ne lit jamais : c’est de l’économie fictionnelle. Ce n’est pas un travail productif, utile à la société, créateur de richesses. C’est du superflu ; de l’éphémère ; du dispensable.
Faut-il supprimer les salariés en télétravail ?
Le télétravail, c’est le miroir brisé d’un monde du travail déjà absurde : là où la présence physique n’était qu’un simulacre, on l’a remplacée par une absence toléré. Et au fond, tout le monde le sait : le jour où le patron s’aperçoit que tu peux travailler de chez toi sans que personne ne voie la différence, c’est aussi le jour où il comprend que tu peux être remplacé.
Retrouvez les différents textes des Nouvelles Mythologies Françaises sur la page consacrée.