Il existe en France une divinité païenne, sacrée, indéboulonnable. Elle ne figure dans aucun catéchisme, mais fait l’unanimité de Biarritz à Lille, de l’étudiant fauché au cadre sup’ en quête de soleil : la terrasse. La sainte Terrasse !
La sainte Terrasse, nouveau lieu de culte
La terrasse, c’est l’autel du Français moderne. Son lieu de culte. Son coin de paradis en bitume. Il y prie un dieu en forme de demi-pression, de café crème, ou de salade César hors de prix. Il s’y rend avec ferveur, même par 9 degrés sous la pluie, emmitouflé dans une parka, convaincu qu’un parasol chauffant suffit à faire oublier qu’on est en mars. Le Français brave l’humidité, le bruit, la pollution urbaine, pourvu qu’il soit en terrasse.
Vite ma Terrasse
Souvenez-vous du confinement : ce n’est pas l’interdiction de circuler qui a choqué, ni les libertés piétinées au nom de la sécurité sanitaire. Non. Ce qui a fait tiquer le peuple, ce fut l’interdiction d’accéder aux terrasses. Dès que la première rumeur de réouverture a circulé, les Français se sont rués dehors, le postérieur trempé sur des chaises en plastique, les jambes paralysées par le froid, mais le cœur brûlant : « on y est, on revit ».
Et puis vint le pass sanitaire. On aurait pu croire que les Français descendraient dans la rue pour défendre leur liberté. Mais non. Ils se sont précipités au centre de vaccination, non pas pour la santé, non pas pour la collectivité, mais parce que sans QR code, pas de terrasse. Le monde pouvait bien s’effondrer, l’économie vaciller, les libertés être suspendues — mais le petit verre en terrasse devait subsister.
La sainte Terrasse déborde sur la chaussée
L’été arrive, et comme chaque année, la guerre s’annonce. Les restaurateurs réclament plus d’espace pour étaler leurs tables sur la chaussée. Les riverains, qui hurlent aux nuisances sonores, sont les premiers à réserver une place sur la terrasse qu’ils critiquaient hier. C’est le syndrome typique du Français : râleur chronique, mais esclave de ses propres contradictions.
Sur son balcon, le citadin se met en mode terrasse de substitution. Il plante deux géraniums rachitiques, pose une guirlande LED à énergie solaire, et boit son café dans un transat bancal, face à une cour intérieure grisâtre, convaincu de vivre la dolce vita.
Le théâtre de la vie urbaine
Car la terrasse est une projection sociale. On ne s’y rend pas pour consommer, mais pour être vu en train de consommer. C’est le théâtre à ciel ouvert de l’ego national. On y exhibe ses lunettes de soleil, son bronzage de cassos. On y parle fort., on y rit plus fort encore, on s’y sent vivant. Important. Citoyen de cette grande République festive où l’on peut refaire le monde avec trois blagues et deux Spritz.
La sainte Terrasse, l’âme de la France
Alors oui, la France est endettée, l’État vacille, les jeunes fuient, les prix explosent, mais rien n’ébranlera la Sainte Terrasse. C’est l’ultime bastion du bonheur franchouillard. Le Graal. La ligne Maginot du plaisir de vivre. Le Français peut tout perdre, tant qu’il garde son droit inaliénable à un bout de trottoir avec vue sur un feu rouge et des scooters.
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