Foot : le mépris des crampons
Le Français lettré, version revue et corrigée par Libé’, a un réflexe pavlovien : mépriser le foot.
Dès qu’il entend “buuuuuut !”, il entend “beauf”. Dès qu’il voit un maillot, il pense à une camisole. Et si jamais il voit un drapeau, il crie au retour des heures sombres.
Le football ? “Un cirque pour cerveaux mous”, “du pain et des jeux”, “la preuve que le peuple est idiot”.
Tout est bon pour que l’intello de salon aligne ses petites saillies contre ces masses imbéciles qui “hurlent dans des stades au lieu de lire Proust”.
L’intello ne comprend rien au foot

Mais que comprend-il, lui, le donneur de leçons en écharpe légère, au bonheur d’un match ? Il ne voit pas l’émotion, la ferveur, le lien. Il ne comprend pas que pour beaucoup, le foot est l’un des derniers espaces d’appartenance.
Ce n’est pas “qu’un jeu”. C’est un souffle collectif. Un moment où des hommes, des femmes, des enfants, des vieux, des jeunes, des riches, des pauvres vibrent à l’unisson.
Il ne comprend pas, l’intellectuel fatigué, que c’est peut-être ça aussi la culture : un terrain boueux, un stade bruyant, une finale regardée sur un vieux poste.
Le cuistre ne regarde pas le foot

Et pendant qu’il moque les drapeaux et les cris, lui brandit ses abonnements aux musées comme d’autres exhibent des trophées. Sa supériorité culturelle n’est qu’un vernis craquant. Il parle de tolérance, mais vomit ce qui le dépasse. Il parle d’universalité, mais méprise l’universel. Il dit aimer le peuple, mais ne le connaît pas. Il juge le foot pour ne pas avoir à regarder ce qu’il est devenu lui-même : un bourgeois, fermé, étranger à la joie simple et populaire.
Les dieux du stade
Le foot, c’est aussi une épopée moderne. Des destins brisés ou transcendés. Des gamins de banlieue ou de favelas qui deviennent des légendes. Des villes entières qui chantent le nom d’un homme, parfois plus fort que leurs propres maires. Le foot, c’est la dramaturgie brute : la trahison, la gloire, le doute, la rédemption. C’est du théâtre à ciel ouvert, sans entracte, sans décor, mais avec des héros plus vrais que nature. Alors pourquoi ce mépris ?
Les limites intellectuels de l’intello méprisant

Peut-être parce que le foot échappe aux codes de l’élite. Parce qu’il ne demande ni agrégation ni jargon. Parce qu’il est aimé par ceux qu’on n’écoute jamais. Parce qu’il rassemble ce que la société sépare. Peut-être aussi parce qu’il rappelle que le peuple, qu’on croyait abruti, est encore capable d’émotion, de loyauté, d’enthousiasme. Et ça, pour l’intello cynique, c’est insupportable.
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