Simone Weil, philosophe française, proposait de supprimer les partis politiques
Simone Weil, philosophe française, proposait de supprimer les partis politiques

Dans son court essai Note sur la suppression générale des partis politiques, Simone Weil formule une critique radicale des partis, qu’elle considère comme foncièrement nuisibles à la démocratie, à la vérité et au bien commun. Elle affirmait la nécessité de supprimer les partis politiques.

Cet article propose une synthèse structurée de sa pensée, pour comprendre pourquoi elle voyait dans les partis une menace systémique.


Simone WEIL, Note sur la suppression générale des partis politiques.
Simone WEIL, Note sur la suppression générale des partis politiques.

Simone Weil commence par établir ses postulats. Le bien, pour elle, s’identifie à la vérité et à la justice. Le but de toute vie publique authentique doit donc être de viser le bien commun, à travers la recherche sincère de la vérité.

Elle s’inscrit ici dans l’héritage républicain de Rousseau, qui fonde la légitimité politique sur la notion de volonté générale. Pour Rousseau, cette volonté ne peut s’exprimer que dans un peuple raisonnable, c’est-à-dire libéré de passions collectives, capable de parvenir à un consensus objectif.

Sur cette notion de volonté générale, Rousseau posait deux postulats : tout crime a la passion pour origine, et la raison est identique chez tous les hommes. Ainsi, si tous les hommes se penchent sur un même problème, il y aura nécessairement un consensus, et ce consensus sera donc forcément juste, vrai et raisonnable. Les différences de point de vue seront des erreurs. Selon cette idée, la majorité a toujours raison.

Pour Rousseau, la volonté générale du peuple est préférable à la volonté individuelle , car la multiplication des points de vue neutralise les passions. La volonté du peuple a plus de chances d’être conforme à la justice que la volonté de quelques uns.

Deux conditions sont nécessaires pour permettre l’expression de la volonté populaire :

  1. Le peuple ne doit pas être dominé par des passions collectives violentes (ex : lynchages émotionnels, manipulations médiatiques).
  2. La démocratie doit être directe : les citoyens votent pour des décisions, non pour des représentants chargés de penser à leur place.

Simone Weil identifie trois caractéristiques fondamentales des partis politiques :

  • 1. Les partis politiques fabriquent de la passion collective
  • Leur fonction première est d’exciter, entretenir et canaliser des émotions partagées, non d’énoncer la vérité.
  • 2. Les partis politiques exercent une pression intellectuelle sur leurs membres
  • Le parti impose un cadre idéologique rigide. Le membre cesse de penser librement : il adhère à une doctrine, défend des mots d’ordre, répète des slogans.
  • 3. Le but des partis politiques est leur propre croissance
  • Le parti ne cherche ni la vérité, ni la justice, ni le bien public : il veut croître, gagner en influence, se maintenir. Il s’agit d’une logique totalitaire.

En conséquence, il faut supprimer les partis politiques. Simone Weil parle même d’inversion des fins et des moyens : l’organisation ne sert plus à atteindre un objectif, elle devient elle-même son propre objectif. Le parti est une fin en soi. Il ne se donne jamais de point d’achèvement, car cela signifierait sa disparition.

Le seul critère du bien, c’est la croissance du parti.


Simone Weil ne se contente pas d’un constat moral. Elle dénonce une structure de pouvoir. Pour elle, tout parti, même modéré ou démocratique en apparence, contient en germe une logique totalitaire.

  • Le parti ne cherche pas à convaincre, mais à imposer.
  • Il ne vise pas l’intérêt général, mais son propre intérêt.
  • Il ne valorise pas l’intelligence, mais la fidélité.
  • Il produit une idolâtrie du chef, des conflits internes, des schismes et des guerres d’ego.
  • Il transforme le débat politique en compétition entre machines de propagande, où chaque camp cherche à écraser l’autre.

Le collectif domine les êtres pensants qui composent le collectif.


Simone Weil décrit avec précision le mécanisme de soumission intellectuelle induit par l’adhésion à un parti :

  • Le membre ne connaît pas toutes les positions de son parti, mais les adopte par défaut.
  • Il délègue sa pensée à une structure collective.
  • Il accepte les lignes idéologiques comme un logiciel préinstallé.
  • Il finit par ne plus penser du tout : le parti pense pour lui.

Cette servilité mentale est, pour Simone Weil, incompatible avec la vie démocratique.

Quand on intègre un parti, on renonce à chercher le bien public : on ne recherche que le bien du parti (sa croissance perpétuelle). On ne pense plus, on laisse le parti penser à notre place.

Participer à la croissance du parti, contribuer à son bien, permet de bénéficier de la protection de l’institution et d’obtenir des compensations, des avantages en nature (postes, opportunités de carrière, financement, etc.).

L’aspect sectaire des partis est renforcé par leur capacité à excommunier un membre qui est allé contre les intérêts de son parti.

Cette situation est acceptée et rendue normale par la propagande continue qui intègre les partis dans la vie politique et qui en font les fondations de la vie politique.

La multiplication des partis laisse penser que le bien public n’existe pas, que la vérité n’existe pas, mais que tout est relatif. L’existence même des partis est hostile à la volonté populaire, puisque le peuple n’a plus aucune occasion d’exprimer sa volonté ; il doit choisir entre les partis disponibles.


Tous les partis ont une doctrine vague, floue, mal définie, car la fin d’un parti n’a pas de sens : le parti veut simplement croitre. L’existence du parti est une fin en soi. Et lorsqu’il prend le pouvoir, il tend naturellement au totalitarisme : il n’écoute pas les opinions contraires et fait tout pour imposer sa volonté, ses idées.

Un parti ne cherche pas le bien public, mais son propre bien. Il est donc toujours en quête d’une puissance totale (le totalitarisme lui est consubstantiel).

« Le parti se trouve dans un état continuel d’impuissance (par l’absence de pensée profonde) qu’il attribue à l’insuffisance du pouvoir dont il dispose. »


L’un des apports les plus puissants de est sa dénonciation de la contagion partisane. Selon Simone Weil, la logique partisane, l’opposition d’un camp à un autre, envahit tous les domaines :

  • Les médias fonctionnent comme des tribunes partisanes où l’on « débat » sans jamais rechercher la vérité.
  • L’école elle-même initie les enfants à la logique du parti, en les obligeant à choisir un camp dans des débats artificiels.
  • La science n’est pas épargnée : même les chercheurs se divisent en clans qui défendent leurs hypothèses comme des identités.
  • L’art produit des cercles d’admirateurs, des querelles d’écoles, des fidélités absurdes à des figures.

Dans tous les cas, la vérité est secondaire. Ce qui compte, c’est la position, le clan, la ligne.


Dans une analogie moderne, on pourrait dire que les partis fonctionnent comme des clés de chiffrement : ils conditionnent l’accès à la vie politique. Il est impossible d’agir sans leur accord, sans leur filtre.

La démocratie verrouillée par les partis devient un système clos, où le citoyen n’a plus d’existence qu’à travers une appartenance. Comme en informatique, l’utilisateur lambda (le citoyen) ne peut accéder à certaines fonctions du système (la politique) qu’en passant par un security check (l’adhésion à un parti).


Simone Weil conclut sans détour : les partis sont fondamentalement mauvais, il faut les supprimer.
Ils n’ont aucun rôle positif dans la vie démocratique. Leur disparition permettrait peut-être de recréer les conditions d’un vrai débat public fondé sur la vérité, la justice, le bien commun.


Simone Weil ne propose pas une réforme des partis, mais leur suppression pure et simple. Parce qu’ils pervertissent toute recherche du bien commun, elle estime qu’ils sont incompatibles avec une démocratie réelle. Ce texte, bref mais d’une extrême puissance intellectuelle, mérite d’être redécouvert dans un monde où la politique semble plus que jamais dominée par des machines partisanes sans âme.

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