L’Université, ou l’art de stériliser la jeunesse
Comment garder la jeunesse sous contrôle ?
Il fallait bien inventer quelque chose pour canaliser la rage adolescente.
Quelque chose de doux, de progressiste, de valorisant. Un grand récit où tu es « l’avenir du pays », où tu « construis ton projet », où tu « te formes à devenir libre ». On a appelé ça l’Université.
Derrière les beaux discours et les slogans sur la connaissance libératrice, l’université française est devenue une machine à produire du temps mort. Une gigantesque garderie pour jeunes adultes, dont l’utilité sociale principale est de neutraliser la jeunesse pendant les années critiques : celles où elle aurait pu se révolter.
T’as perdu 5 ans de ta vie
Plutôt que de voir des hordes de jeunes désœuvrés hurler sous les fenêtres des ministères, on les parque dans des amphis glacés, à ingurgiter des cours inutiles ou à disserter sur idées floues, avant de les laisser sortir boire une pinte de bière à deux euros en happy hour. C’est propre, c’est docile, c’est républicain.
Certaines filières débouchent sur des métiers. La médecine, les sciences dures, quelques branches du droit, mais ça reste marginale. Ce sont les exceptions qui confirment la règle. Le reste, c’est un gigantesque marécage de filières généralistes où l’on enseigne tout ce qui est inutile et qui ne permet pas de gagner sa vie.
L’université, le temple des filières bullshit

Sociologie, lettres, histoire, psychologie, études culturelles, droit de la montagne, etc. Des diplômes honorables qui mènent directement à Pôle Emploi, ou à la CAF, ou à la précarité maquillée en « auto-entrepreneuriat ».
Mais ce n’est pas un échec. C’est le but.
L’université ne forme plus : elle occupe. Elle fabrique des individus qui, pendant cinq à dix ans, croient qu’ils « se préparent à la vie d’adulte », alors qu’ils s’éloignent lentement de toute utilité économique réelle. Mais cette distance est précisément ce qui les rend gérables.
L’art de laisser la soupape décompresser

Et quand ça déborde ? Quand les étudiants descendent dans la rue ? On laisse faire. Parce qu’une manif, c’est aussi une bonne soupape. Ça permet d’évacuer la frustration collective sans remettre en cause le système. Le ministère regarde les cortèges avec bienveillance, il prend quelques photos, il attend que ça passe. Les CRS n’arrivent qu’à la fin, pour la mise en scène.
Mais le véritable piège, c’est l’après.
Une fois que l’étudiant a passé ses meilleures années à réviser, à écrire des mémoires que personne ne lira (pas même ses profs), à se battre pour valider des semestres et obtenir un diplôme sans valeur sur le marché du travail, il est coincé.
Coincé parce qu’il a sacrifié trop d’années pour admettre qu’il s’est trompé.
T’es un raté et tu mérites ta vie de raté

Au début, l’étudiant avait des rêves d’émancipation intellectuelle, d’ascension sociale, de reconnaissance. Il se retrouve à 27 ans à faire des vacations à 12€ de l’heure ou à corriger des copies d’ados blasés dans un lycée de banlieue. Il encaisse 1 500 balles par mois, et encore, avec la prime ZEP. C’est peu. Mais c’est mieux que rien. Et surtout, c’est ces 1 500 balles, c’est trop pour tout envoyer valser.
Voilà comment on fabrique une génération stérilisée.
Des gens qui auraient pu foutre le feu au système, et qui se contentent d’y survivre.
Des têtes pleines, des ventres vides, et une rage bien canalisée dans des threads Twitter.
La fac : ce n’est pas un lieu de savoir. C’est une fabrique de résignation.
Fais plutôt un CAP au lieu d’aller à l’université

Et pendant que l’étudiant fraîchement diplômé de sociologie post-coloniale traîne son CV désespéré de stage en stage, il y a Kevin — celui que les profs ont orienté vers un CAP « parce qu’il n’était pas scolaire » — qui aligne les factures et les heures sup’ sur les chantiers, roule en utilitaire flambant neuf et paie comptant sa cuisine équipée. Lui, il bosse. Il sait faire quelque chose de ses dix doigts. Il est utile. Et surtout, il n’a pas passé cinq ans à disserter sur Bourdieu pour finir à 1 500 balles net avec un contrat à durée déterminée dans un call center.
Entre un bac + 5 de sciences molles et un CAP, le plus intelligent, c’est celui qui arrive à remplir sa gamelle tous les jours.
Retrouvez les différents textes des Nouvelles Mythologies Françaises sur la page consacrée.