La “valeur travail”, ou l’entonnoir du SMIC
La France adore brandir la « valeur travail » comme un étendard moral. Les ministres s’en gargarisent à la tribune. Les éditorialistes l’invoquent en boucle. Les candidats à la présidentielle en font des slogans. Les patrons la mettent en avant pour justifier des salaires au rabais. Les journalistes vendent le concept pour maintenir les salariés dans leur torpeur. On en fait de la réclame sur les chaînes de télévision, sur les ondes radio, et même sur les réseaux sociaux. On n’est même plus tranquille sur Internet, qui était autrefois le repère des marginaux contestataires.
Travaille et tais-toi
Travailler, c’est noble. Travailler, c’est structurant. Travailler, c’est citoyen. Travailler, c’est « redresser le pays ». Bref, travailler c’est l’alpha et l’oméga de la dignité humaine ; le socle de toute intégration, le remède à toutes les fractures.
Mais dans les faits, la « valeur travail » est un mot creux, un totem laïc, une pièce de théâtre dont le premier acte s’arrête quand tu reçois ta première fiche de paie. Car ce pays qui sanctifie le travail ne sanctifie pas ton salaire. Il est presque devenu impossible de gagner décemment sa vie.
Essaye donc de passer au-dessus du SMIC horaire, et tu verras surgir l’appareil fiscal : les cotisations, les charges, les plafonds, les seuils, les « trappes à pauvreté », les dispositifs qui « désincitent » à trop bosser. Résultat : travailler plus rapporte souvent moins. Une progression salariale de 10 % se traduit souvent par moins de 4 % dans la poche. Et à quoi servent tes cotisations ? A financer les croisières Costa Concordia de Bernard et Chantal, les boomers qui sont partis en retraite à 55 ans. Tu vas aussi payer les frais de fonctionnement du mammouth administratif. Et tu vas financer l’oisiveté de tous les cas sociaux qui gagnent autant que toi sans bouger de leur HLM.
Boulots de merde au SMIC
Et ce n’est pas tout. Il ne suffit pas de travailler. Encore faut-il avoir choisi le bon métier. Car dans le paradis de la « valeur travail « , les métiers utiles (soignants, enseignants, éboueurs, aides à domicile, agents de terrain) sont dévalorisés, mal payés et méprisés. On te parlera de leur « importance sociale » dans les discours officiels, mais à la fin du mois, tous ces pauvres gars et toutes ces pauvres nanas restent collés au SMIC, sans espoir d’évolution salariale.
Pendant ce temps, ceux qui « réussissent » sont souvent les mieux installés dans les secteurs improductifs ou parasites. Je parle évidemment des consultants qui pondent des diaporamas sur la transition énergétique, des hapiness managers qui arrosent les plantes vertes de l’open space, des community managers qui soignent l’image de la boite sur les réseaux sociaux. Le mérite ne rémunère pas. C’est l’image qui paye.
Le travail utile fatigue. Le travail futile enrichit.
Pourquoi travailler ?
Alors les Français sont prisonniers d’une contradiction insoluble. Ils réclament la reconnaissance du travail, mais ils savent qu’il ne rapporte rien. Ils disent que « vivre des aides, c’est la honte », mais constatent qu’on vit parfois mieux avec le RSA et les APL qu’avec un 35h au SMIC. Ils glorifient les « petites mains » du système, mais ne veulent surtout pas que leurs enfants deviennent caissiers, agents d’entretien ou aides-soignants.
La « valeur travail », dans ces conditions, n’est plus une vertu. C’est plutôt une camisole morale. Un mot d’ordre dépourvu de sens, lancé aux pauvres pour qu’ils se lèvent tôt, ferment leur gueule, et continuent d’alimenter un système dans lequel l’argent coule à flot, mais toujours dans un seul sens.
Retrouvez les différents textes des Nouvelles Mythologies Françaises sur la page consacrée.
