Il a gardé l’habitude de se lever tôt, même si plus rien ni personne ne l’attend. A part Le Chat.
L’hiver, il ne chauffe plus depuis 2022. Pas parce qu’il aime le froid, mais parce que le gaz coûte trop cher. Pour lui, la chaleur est devenue un luxe. Et il doit garder de la marge chaque mois, au cas où EDF augmenterait encore ses tarifs d’électricité.
Le chat, lui, dort roulé en boule sur un coussin près du four, car de temps en temps, Le Chat trouve qu’il fait bon près de cette boite.
Le pépère, quant à lui, met deux pulls et un gilet ; celui que sa femme avait tricoté autrefois.
Il aime regarder les publicités à la télé : des maisons ouvertes, lumineuses, où les gens rient autour d’un dîner. On y parle d’économie d’énergie, de pompes à chaleur, de primes, de “pouvoir d’achat”. Il se dit que le vrai pouvoir d’achat, c’est juste de pouvoir se chauffer sans craindre un appel de la banque.
Il a bien essayé, l’hiver dernier, d’allumer un petit radiateur d’appoint, mais le compteur a tourné à une vitesse folle. Il a reçu la facture, a fait un calcul rapide dans sa tête, et l’a coupé aussitôt. Depuis, il s’organise. Il met de l’eau à bouillir pour “réchauffer la cuisine”, il met une bouillotte dans le lit, il ferme les pièces qu’il n’utilise plus. Son monde s’est rétréci à la cuisine et au salon. Le reste, c’est pour l’été.
Parfois, une assistante sociale passe. Elle est gentille, polie, compatissante, mais elle ne fait pas pousser les billets sur les arbres, la pauvre. Elle lui parle de chèques énergie, de formulaires à remplir, de “solutions adaptées”. Il hoche la tête, mais il n’y comprend rien et il ne croit plus à tout ça. Il a compris que ces aides étaient faites pour que tout reste pareil : pour qu’il puisse continuer à ne pas se chauffer sans que personne ne soit vraiment responsable.
Et le soir, il s’assoit, le chat sur les genoux, la lampe basse allumée pour économiser. Il n’a jamais rien demandé à personne. Il a « fait sa part », comme on dit. Mais maintenant qu’il n’a plus rien à prouver, il doit encore se justifier de vivre sans trop consommer, car, comme le dit le slogan publicitaire, « la meilleure énergie c’est celle que l’on ne consomme pas ».
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