La conseillère d'orientation, la pire ennemie de la jeunesse.
La conseillère d'orientation, la pire ennemie de la jeunesse.

Parmi les phrases creuses que l’on répète comme des mantras sacrés dans les couloirs feutrés de l’Éducation nationale, celle-ci remporte la palme de la destruction programmée : « Fais ce que tu aimes ». Murmurée avec le sourire d’un conseiller d’orientation qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise, cette phrase envoie chaque année des cohortes de jeunes dans les impasses du marché du travail avec, pour seul bagage, une passion pour la mythologie nordique ou l’histoire de l’art du Quattrocento.

Derrière cette formule séduisante se cache une immense hypocrisie, un mensonge structurant du système éducatif français : celui d’un monde du travail bienveillant, rationnel, prêt à accueillir des passionnés comme des héros.

Comme si le marché de l’emploi était un immense buffet où chacun pourrait choisir sa part en fonction de ses goûts.

Or la réalité, c’est qu’il y a des métiers utiles et rémunérés, et des vocations précaires que l’on cultive comme des plantes mortes.

Ceux qui prodiguent ces « bons conseils » n’ont jamais eu à écrire un CV. Ils ne connaissent ni le stress d’un entretien d’embauche, ni la violence d’un refus, ni l’humiliation silencieuse des recruteurs.

Ce sont des fonctionnaires !

Ils ont suivi le parcours typique : lycée -> fac -> concours -> lycée. Jamais une journée dans une boîte privée ; jamais un projet rentable à monter ; jamais une mission où leur poste dépendait de leur efficacité. Pour cette racaille, corriger des dissertations c’est comprendre le monde.

Ces gens, qui se sont engagés dans une carrière stable à vie vous expliquent donc très sérieusement que l’important, c’est de suivre vos passions.

Pire : ils le disent avec bonne conscience. Ils y croient, ils sont sincères, ils pensent même aider. Parce qu’ils n’ont aucune idée du monde réel.

Ils n’ont jamais vu les stats de l’INSEE. Ils ignorent combien gagne un chargé de production dans l’audiovisuel, un traducteur littéraire, un secrétaire de mairie contractuel, un médiateur culturel, un urbaniste junior, un chercheur sans poste, un écrivain public.

Et quand on leur parle du marché du travail, ils répondent « Il faut bien faire ce qu’on aime sinon on sera malheureux toute sa vie ».

Ils ne savent pas que le malheur commence justement quand on est passionné et qu’on galère.

« Fais ce que tu aimes », c’est la version scolaire du rêve américain. Sans pognon, sans talent, sans réseau. Une illusion douce pour mieux faire avaler l’arnaque : pendant que les enfants de profs et de cadres bien informés font médecine, droit ou ingénierie, on pousse les autres vers la fac de psycho, les métiers du livre ou les beaux-arts, en leur expliquant qu’il faut « croire en leurs rêves ».

À la sortie, c’est toujours la même histoire : des jeunes gens formés à rien, dans un monde qui ne leur veut pas du bien. Ils découvrent alors, trop tard, qu’aimer ne suffit pas à payer un loyer. Et qu’en matière d’émancipation, la liberté financière vaut bien plus qu’un coup de cœur académique.

Le jeune crédule suit donc son cœur. Il s’inscrit en licence de cinéma, de philo, de lettres, de socio, de psycho. Croyant ce qu’on lui a dit, il pense qu’il va s’accomplir, qu’il va « trouver sa voie ».

Il croit à la fable et en redemande. Trois ans, cinq ans, parfois huit années à creuser un sillon qui n’aboutit nulle part.

Il sort de là avec une fiche de paie à 1400 euros (quand il en a une), en bossant comme assistant administratif dans une collectivité locale, ou en mi-temps à la bibliothèque.

Il tombe de haut et souffre en silence. Mais il ne peut pas faire marche arrière. Trop de temps perdu, d’années sacrifiées. Trop d’orgueil pour admettre qu’il s’est fait avoir.

Alors il reste. Il s’accroche à son SMIC. Il accepte sa vie de misère douce, sans révolte. Parce qu’il l’a choisie, soi-disant. Parce qu’il a fait « ce qu’il aimait ».

Ce qu’on aurait dû leur dire ?
« Fais ce qui te permet de gagner ta vie. Et plus tard, fais ce que tu aimes, si t’as encore du temps. »

Il aurait fallu dire au jeune ce que la bourgeoisie dit à ses enfants :  » Va là où il y a de l’argent ! Va là où tu pourras être libre, indépendant, affranchi du chantage à l’emploi ! »

On aurait dû lui apprendre que l’émancipation passe d’abord par la sécurité financière, pas par une passion mal rémunérée. Que le plaisir vient souvent après la stabilité, pas avant.

Mais ce discours-là, on l’a réservé aux initiés. À ceux qui savaient décrypter le monde. Aux enfants de profs, de médecins, d’ingénieurs. Les autres, on les a laissés croire à leurs rêves, comme des enfants à qui on cache la vérité.

Retrouvez les différents textes des Nouvelles Mythologies Françaises sur la page consacrée.

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